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Chamanisme et (substances) psychédéliques, deux termes presque indissociables qu’il est absolument nécessaire d’approfondir pour en comprendre non seulement la signification exacte mais aussi le pourquoi d’une telle proximité et donc ainsi envisager les très nombreuses perspectives actuelles à la fois ésotériques et, paradoxalement, scientifiques. Un réel tour de force afin de comprendre que les psychédéliques, ces "molécules de l’esprit" qui sont de puissantes drogues psychotropes relativement connues comme le LSD, la psilocybine, la mescaline ou l’ayahuasca, sont aussi le pivot central de cette paradoxale relation entre les traditions chamaniques et les sciences modernes actuelles. Pour ce faire, selon moi il est nécessaire d’exposer cette démonstration en deux étapes à la fois progressives, simples et claires : la première partie (1/2) ici même dans cet article pour définir que le chamanisme est intimement lié à l’utilisation de ces psychotropes tout en expliquant comment les sciences occidentales ont commencé à s’y intéresser; la deuxième partie (2/2) étant plus axée sur les sciences d’aujourd’hui avec une reconnaissance des traditions chamaniques, du moins de la justesse et de la réalité de l’ensemble de ces phénomènes autrefois jugés paranormaux et complètement excentriques, devenus de nos jours un véritable et très sérieux sujet d’étude avec des implications scientifiques extrêmement vastes et prometteuses pour l’avenir.
Le premier point crucial à bien assimiler est celui de l’utilité des psychédéliques dans les traditions chamaniques, anciennes et plus contemporaines puisque c’est une constante dans toutes les pratiques des chamans, avec certes des différences concernant le type de molécules en fonction de la zone géographique de chacun des protagonistes. Ainsi en Amazonie c’est "l’ayahuasca" (ou "yagé") qui sera tiré de la décoction d’une liane pour en extraire le principe actif, la DMT (diméthyltryptamine), qui est un puissant psychotrope ayant diverses capacités dont celle, durant les rites sacrés pratiqués par les chamans, de lever le voile de la réalité pour accéder à une dimension éthérique, astrale, cosmique ou infernale (selon le type de "voyage"). Ailleurs, par exemple au Mexique et plus particulièrement chez les Amérindiens ce sera le "peyotl", un petit cactus local (avec son propre principe actif : la mescaline), qui sera utilisé aux mêmes fins d’entrer en contact avec des régions autrement invisibles et dont tout l’intérêt sera de rencontrer soit les ancêtres, défunts récents ou plus anciens, soit des divinités (animaux totems sacrés) ou même des créatures démoniaques ayant aussi un savoir à transmettre ou bien une utilité spécifiquement "initiatique" sur laquelle je reviendrai plus longuement.
De par le monde beaucoup d’autres substances psychotropes existent, lesquelles ayant aussi ce but recherché d’une ouverture de l’esprit, ou plus communément et selon l’appellation exacte celle d’entrer dans un "état modifié de conscience", il en va ainsi de la psilocybine qui est une substance issue d’un champignon hallucinogène que l’on retrouve encore une fois plus précisément au Mexique ou bien d’autres psychotropes provenant de pays plus tropicaux via les sécrétions de certains batraciens dont des crapauds exsudant de la DMT de leur peau, autant dire, comme dans certains contes pour enfants, qu’une princesse embrassant ce type de grenouille verra très vite à ce simple contact son vœu exaucé dans ses rêves psychédéliques les plus prometteurs !
Mais pour que l’on puisse en parler aujourd’hui avec autant d’informations bien répertoriées, il aura fallu que des spécialistes s’en occupent et ce sont dans un tout premier temps les sciences humaines qui se seront lancées dans ce défi assez audacieux pour l’époque car le sujet était pour le moins polémique et peu habituel. Ainsi dès les années 60 les ethnologues (étudiant les sociétés humaines et les cultures) et les anthropologues (étudiant l’être humain en général) se sont attelés plus précisément à l’étude des tribus éloignées d’Amazonie et d’Océanie afin notamment d’en saisir le caractère chamanique dans ces zones géographiques auparavant peu connues ou étudiées. C’est avec l’essor de ces disciplines en sciences humaines que le grand public et le monde profane auront pu en effet découvrir d’autres traditions apparemment plus primitives matériellement mais avec une spiritualité très avancée et parfaitement codifiée dans ses règles, dont le chamanisme et ses rituels assez éloignés de la pensée occidentale mais néanmoins proches des principes universels ésotériques et magiques.
La découverte des sociétés tribales chamaniques n’était pas récente puisque, que ce soit justement avec les sorciers africains ou les chamans de Sibérie, ou bien encore plus historiquement éloignés dans le temps avec les cultures aztèques ou mayas d’Amérique centrale, l’on avait déjà eu une base assez exhaustive de l’ensemble de ces rites et de ces pratiques assimilées. Certaines de ces pratiques ayant commencé plusieurs millénaires avant notre ère, ce qui en dit d’ailleurs assez long sur les solides fondations de ces cultures ayant un socle chamanique avec lequel, pour la plupart, l’utilisation épisodique ou très assidue de drogues psychédéliques dans presque tous les rituels et autres opérations sacrées, voire sacrificielles…
Pour justement en revenir à l’initiation que j’ai évoquée précédemment, c’est une caractéristique essentielle du chamanisme, tant pour devenir chaman que pour passer une certaine étape au sein d’un groupe social ou d’une tribu, celle-ci passe très souvent par l’absorption de substances hallucinogènes, ceci à des fins très précises : pour l’apprenti chaman en devenir il sera soumis aux affres de son esprit perdu dans des régions astrales, rencontrant le plus souvent des entités démoniaques le dévorant ou le démembrant pour qu’il ne reste absolument rien de sa vie d’avant et ainsi devenir "en soi" un individu différent, un individu digne d’être un chaman, s’il en réchappe avec une vision du monde élargie et de véritables compétences magiques en termes de soins et de résolutions de problèmes sociétaux. Le passage à la vie adulte est aussi une terrible épreuve dans ces sociétés tribales, elle est généralement supervisée par les plus anciens et les sorciers, ceux qui auront le droit et le privilège de stipuler qu’un jeune est devenu un homme suite à son initiation.
Michael Harner, anthropologue spécialiste des Indiens Jivaros d’Équateur et d’Amazonie a été l’un des premiers à étudier ce qu’il appelle le "chamanisme universel" comme spiritualité reprenant l’ensemble des codes initiatiques et ritualistiques, notamment l’usage de boissons hallucinogènes à des fins de voyages spirituels, de rêves chamaniques et de transes. Carlos Castaneda (dont j’ai déjà parlé ici dans cet article), l’un de ses collègues ira même jusqu’à expérimenter in situ ces substances et à suivre durant de longues années un chaman pour ainsi devenir un expert des us et coutumes chamaniques. Le caractère psychotrope de ces "boissons" est aussi intimement lié à la mort, non seulement du fait qu’il plonge celui qui s’y adonne dans un état second proche de la désincarnation charnelle mais parce qu’il permet d’accéder à des dimensions où se croisent vivants et morts, chamans et ancêtres de la tribu. Les visions ou rêves chamaniques engendrés par ces "voyages psychédéliques" permettent d’accéder à une Connaissance ésotérique profonde que l’on retrouve par ailleurs dans de nombreuses religions sur la planète, notamment chez les grands mystiques Hindouistes ou Bouddhistes.
Au-delà des chercheurs en anthropologie ou en ethnologie ce sont par la suite les thérapeutes occidentaux comme Abraham Maslow et Stanislav Grof qui bien évidemment se seront intéressés à ces états modifiés de conscience permettant aussi de guérir certains troubles de l’esprit que les chamans savent remarquablement soigner via leurs psychédéliques ancestraux. La découverte et l’expérimentation du LSD, proche du DMT, aura dans les années 70 et 80 des applications entrainant par la suite l’extraordinaire essor de nombreuses autres substances chimiques, cette fois-ci intitulées "pharmaceutiques" à un niveau médicalement acceptable dans nos sociétés qui se seront finalement indirectement attribué la paternité de ces "médicaments" psychotropes utilisés aujourd’hui par des millions de personnes. Mais le chamanisme et ses pratiques psychédéliques ont évidemment encore beaucoup à nous apprendre pour la compréhension du monde, cette fois-ci avec le concours des sciences dites "dures", les plus actuelles et d’avenir, ce qui fera par conséquent l’objet du second opus (2/2) et donc une suite logique de cet article…
Jean-Pascal BRUNO, sorcier chaman professionnel